Avec deux confinements et le télétravail imposé pendant la majeure partie de l’année, 2020 a obligé les entreprises à adapter leur organisation du travail. Difficultés à déconnecter ou à s’organiser, isolement, problèmes de sommeil… Brigitte Vaudolon, psychologue clinicienne en entreprise, tire le bilan de cette année pas comme les autres et détaille les risques liés au télétravail pour mieux les prévenir.
Depuis plus de vingt ans, Brigitte Vaudolon intervient en entreprise sur les questions liées au bien-être au travail. Psychologue clinicienne et coach certifiée par l’EMCC, elle a assisté à l’émergence des risques psychosociaux depuis plusieurs années. Son cabinet Be Positive accompagne salariés et entreprises pour les prévenir et y répondre. Elle est enfin habilitée intervenante en risques psychosociaux par la DIRECCTE, structure gouvernementale dont le rôle principal est de veiller au respect du droit du travail et de promouvoir / renforcer la santé et la sécurité au travail.
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Qu’est-ce que les risques psychosociaux ?
Brigitte Vaudolon rappelle que les risques psychosociaux (RPS) se situent à l’interface entre l’individu et son environnement de travail. « Ils désignent ce qui touche au psychisme de l’individu et à son environnement social. Cela intègre l’organisation de son travail, la manière dont il vit son travail, etc. » explique la psychologue. « Ils sont par définition difficiles à appréhender pour l’employeur, car chaque salarié perçoit son environnement et vit les choses de manière différente. »
L’INRS a défini sur cette infographie les principaux risques psychosociaux, et leurs possibles conséquences. « Burn out, bore out, anxiété, dépression, fatigue, addictions… peuvent être liés à des conditions de travail difficiles, au fait d’être placardisé ou harcelé… » complète Brigitte Vaudolon.
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Comment le télétravail était vécu jusqu’en 2020…
« Avant les confinements, on constatait beaucoup moins de dégâts liés au télétravail, explique Brigitte Vaudolon. En effet, le télétravail constituait souvent une facilité proposée à un salarié, qui s’en saisissait s’il le souhaitait, sans obligation. À partir du moment où il y a une liberté de choix, les risques psychosociaux sont minimes. »
Le volontariat était de règle dans la majorité des entreprises, et le télétravail une modalité apportant de la flexibilité à ceux qui en éprouvaient le besoin. Si cela ne convenait pas à un salarié, il pouvait décider de l’abandonner ou de ne l’utiliser que de manière très occasionnelle. La psychologue clinicienne souligne toutefois un point de vigilance sur la question de l’équilibre avec la vie privée, et rappelle que le droit à la déconnexion est une question inhérente à la mise en place du télétravail. « Même si ses outils de travail le sont, aucun salarié n’est censé être disponible 24h/24. »
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Les impacts du télétravail forcé en 2020
En 2020, et même fin 2019 avec les grèves qui ont favorisé la mise en place du télétravail, cette organisation est devenue obligatoire pour les entreprises et salariés du jour au lendemain, lorsque cela était possible. Les entreprises qui avaient déjà une culture du télétravail l’ont mis en place plutôt simplement, mais beaucoup ont rencontré des difficultés.
Des impacts positifs pour certains…
« Les entreprises moins avancées sur les outils digitaux, les nouveaux modes de travail, ou opposées au télétravail pour des questions de principe… ont dû évoluer, relève Brigitte Vaudolon. Le confinement les a forcées à se moderniser et à passer le cap. À mon sens, c’est une opportunité intéressante pour ces entreprises. »
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Côté salariés, la généralisation du télétravail au-delà du confinement leur a permis aussi de concilier plus facilement leurs contraintes personnelles et professionnelles, sans nuire à leur productivité de manière générale.
… mais des impacts négatifs chez beaucoup de salariés
Le télétravail forcé a aussi provoqué des situations difficiles et inédites. « Dans les mêmes conditions de travail, les salariés ne vivent pas les choses de la même manière, explique l’experte en risques psychosociaux. Certains ont dû télétravailler avec leurs enfants à la maison, partager leur espace de travail avec leur conjoint, ou rester enfermé dans leur studio pendant plusieurs semaines… Cela engendre des vécus très différents. »
Si l’on ajoute à cela la pression médiatique véhiculant une peur omniprésente, on arrive à une multiplication des situations individuelles éprouvantes. « Les lignes d’écoute psychologique ont constaté une hausse très importante des appels à partir du premier confinement. Et on a constaté une intensification des situations difficiles tout au long de l’année 2020 » explique Brigitte Vaudolon.
Anxiété, problèmes de sommeil, difficulté à déconnecter du travail par manque d’occupation, isolement pour les célibataires, difficultés rencontrées avec les enfants et / ou le conjoint, agressivité, complexité à jongler entre les réunions, les repas, les devoirs… tout ceci a généré beaucoup de détresse.
Des entreprises pas toujours à l’écoute de leurs salariés
Autre écueil rencontré par de nombreux salariés : le décalage entre les attentes de l’entreprise et leur cadre de travail. « Certaines entreprises bien équipées au niveau des outils ont basculé en 100 % télétravail avec un déni sur la spécificité de la situation. Un salarié en télétravail n’est pas dans les mêmes conditions qu’au bureau, surtout pendant les confinements.
Il ne dispose pas toujours d’un espace de travail adapté, d’une connexion performante, d’un bon réseau téléphonique, etc. Certaines entreprises n’ont pas pris ces situations en compte et ont demandé aux salariés de fonctionner comme avant. Certains ont compensé en faisant des horaires à rallonge pour montrer leur engagement, et ont tiré sur la corde… »
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Un difficile retour à la normale
À partir du mois de mai, certaines entreprises ont incité leurs salariés à revenir sur site, et le télétravail forcé s’est atténué. « Retrouver de la flexibilité a permis de diminuer les risques » souligne Brigitte Vaudolon.
Mais de nouvelles difficultés ont émergé. « Certains salariés avaient peur de revenir, et ont dû choisir entre un télétravail qui ne leur convenait pas forcément, et un retour au bureau anxiogène en termes sanitaires, notamment pour ceux qui devaient reprendre les transports. » Bon nombre d’entreprises n’ont pas su comment gérer ces situations inédites.
Des changements appelés à durer
« Une fois la crise sanitaire derrière nous, on devrait assister à la mise en place d’un rythme de travail hybride mêlant télétravail et présence au bureau, avec un dosage propre à chaque entreprise et salarié » explique l’experte en risques psychosociaux. Cette nouvelle organisation devrait aider les entreprises à être plus résilientes, surtout si elles tirent des leçons des épisodes de télétravail précédents.
Ces ajustements devront s’accompagner de la diffusion de bonnes pratiques, de formations au télétravail et au management à distance. « On parle peu des difficultés rencontrées par les managers éloignés de leurs équipes, et pourtant elles existent. Très peu étaient préparés à basculer dans ce mode de travail, et cela s’est ressenti.
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Certains salariés qui nous appelaient se sentaient abandonnés, sans travail à faire ni consigne pour occuper leurs journées. D’autres se sentaient “fliqués” par un manager qui manquait de confiance. Dans un cas comme dans l’autre, c’était très dur ! Cela montre l’importance d’accompagner les managers face à ces nouvelles organisations du travail ».
Grâce aux enseignements de cette année hors du commun, Brigitte Vaudolon envisage de manière positive l’avenir du télétravail. « Salariés et entreprises ont tout à y gagner, à condition qu’il soit mis en place de manière organisée et réfléchie pour limiter les risques psychosociaux ! »
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Pour aller plus loin
Dans son livre La Résilience, ça se cultive au quotidien (éditions Mango, 2019) Brigitte Vaudolon invite chacun à explorer ses capacités de résilience face aux difficultés de la vie, et à tirer du positif des épreuves qui nous heurtent au quotidien. Une lecture plus que jamais d’actualité !
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Auteure : Clémentine Garnier