Cédric Deniaud : « La formation digitale doit être pensée à long terme, pour devenir une culture digitale durable et utile »

L'équipe Talkspirit
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Temps de lecture : 4 minutes

La transformation interne des entreprises n’est pas une mince affaire. Devant ce vaste chantier, nombreuses sont celles qui répondent par les actions, à coup de buzzwords, blockchain, intelligence artificielle, etc., savamment choisis pour leur écho médiatique. Stop ! Nous dit Cédric Deniaud, fondateur du cabinet The Persuaders, et de l’accélérateur de grandes entreprises SYSK. Avant toute chose, comprenons d’abord pourquoi il est nécessaire de se transformer et préparons les collaborateurs, et non juste quelques Digital Champions, par l’acculturation au digital. Entretien.

 

Pourquoi les entreprises ont-elles du mal à se transformer ?

Les entreprises se posent souvent les mauvaises questions. Elles imaginent qu’il suffit de faire, d’agir, pour que les gens apprennent, comprennent et changent. Elles sont focalisées sur le « quoi ». Sauf que la plupart des collaborateurs ne comprennent pas pourquoi leurs employeurs prennent telle ou telle décision, pourquoi ils choisissent de s’intéresser à la blockchain ou à l’intelligence artificielle par exemple.

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Se demander pourquoi, c’est à cette question-là que l’entreprise doit commencer par répondre. Or, il faut bien le dire, il y a un effet de mode autour de la transformation digitale. On entend qu’il faut le faire, que les concurrents le font, les médias clament à longueur de temps qu’il est nécessaire de se transformer. Alors nombreuses sont les entreprises qui accolent le mot digital à leur stratégie globale… sans vraiment avoir de vision.

Mes clients me demandent régulièrement : « quelle stratégie digitale définir ? » Je ne réponds pas à cette question. Je propose d’abord de définir une vision globale dans lequel le digital peut avoir une place. Dans ce voyage, il n’y a pas que la destination qui compte. La transformation digitale, c’est un chemin, ce n’est en rien une ligne droite. Mais le problème aujourd’hui, c’est que les entreprises n’ont pas forcément choisi une direction, elles vont dans plein de directions différentes en suivant les tendances des buzzwords. Dans leur plan de transformation, on retrouve les mêmes mots de big data, intelligence artificielle, de blockchain, et au lieu de répondre aux questions qui vont avec, elles répondent par la logique du « test and learn ». En faisant beaucoup de tests mais pas beaucoup de learn. Certaines entreprises se retrouvent ainsi à démultiplier les initiatives, leur donnant le sentiment qu’elles se transforment, alors que ce n’est pas vraiment le cas. C’est pourquoi je parle d’illusion de la transformation.

Vous vous intéressez à l’acculturation, un processus qui concerne les collaborateurs. Pourquoi ?

Je m’intéresse à l’acculturation parce que la transformation digitale ne concerne pas seulement quelques Digital Champions. Transformer une entreprise, c’est la transformer dans sa globalité, des services RH aux achats en passant par la finance et les services consommateurs. Tous les collaborateurs sont concernés ! Alors, tous ne vont pas forcément au même rythme. En revanche, tous doivent le faire et le plus tôt est le mieux. Une transformation est un processus global qui concerne absolument tout le monde.

L’acculturation, en quoi cela consiste-t-il ?

L’acculturation consiste à avoir une représentation du niveau de maturité digitale sur 3 niveaux : celui de l’organisation, des métiers et des managers / collaborateurs. Nous n’attendons pas la même chose de chacun de ces acteurs. Mais au final, tous ont un rôle à jouer. Je dirais même : l’entreprise ne change pas si chaque collaborateur, individuellement, ne change pas. C’est la somme de tous les changements qui fera que l’entreprise se mettra en mouvement.

Prenons l’exemple de l’apprentissage en milieu scolaire. L’intégration des savoirs passe par trois étapes : on apprend, on comprend, puis on est capable d’appliquer. Or en entreprise, on demande aux collaborateurs d’appliquer sans avoir compris ce qu’est un réseau social d’entreprise par exemple. On se contente de leur dire qu’il faut l’utiliser, qu’il faut savoir collaborer, être dans la transversalité, etc. Mais pourquoi ? La question que chaque collaborateur est en droit de se poser est : « quel est mon intérêt individuel à le faire ? ». Savoir utiliser une plateforme, savoir envoyer un email, cliquer sur un bouton, est à la portée de tout le monde. Mais comprendre le sens et plus exactement l’usage, permet d’aller bien plus loin. Finalement, c’est cela qui compte le plus, au-delà du simple déploiement d’une solution.

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Et la formation dans tout cela ?

Les entreprises ont moins besoin de formateurs, elles ont besoin de coachs, de guides qui nous prennent par la main en fonction de notre niveau de maturité. Souvent, lorsque je j’interviens sur des formations, je dis aux collaborateurs que je suis d’abord là pour les « déformer » et leur faire renoncer à certaines habitudes.

Si on ne fait pas au préalable un niveau de maturité, on met tout le monde dans le même sac. Il est essentiel de faire attention à l’uniformisation de la culture et des compétences digitales : on ne demande pas à tous les métiers la même chose. Certains vont avoir envie d’aller plus dans le code ou dans l’intelligence artificielle… Alors bien sûr, il faut un socle commun de compétences, à la base d’une culture digitale de l’entreprise. Mais il faut aussi qu’il y ait des différenciations. Or, les programmes de culture digitale sont souvent mis en place par des personnes qui n’ont pas cette culture digitale. Donc en termes d’acculturation, il est important de savoir quelles sont les compétences et les connaissances qui sont utiles à un instant T aujourd’hui pour tel ou tel collaborateur, mais aussi quelles seront les compétences qui leur seront utiles à T+1, parce qu’il s’agit de préparer l’avenir. La formation digitale doit être pensée à long terme, pour devenir une culture digitale durable et utile. Elle se doit d’être cousue main sur les collaborateurs, tout en s’inscrivant dans la vision stratégique de l’entreprise.

Quel rôle jouent les RH dans l’acculturation digitale ?

Je trouve dommage que la DRH ne soit pas plus impliquée. L’entraîneur de Usain Bolt ne court pas aussi vite que son champion ; pourtant il est capable de savoir ce qui va et ce qui ne va pas : il sait optimiser un produit brut pour le façonner. Pour moi, les RH doivent donc être comme des entraîneurs. Mais si les RH elles-mêmes ne savent pas pourquoi et comment le digital est intégré à la stratégie de l’entreprise, elles ne pourront pas l’expliquer aux collaborateurs. Or, les prestataires de formation qu’elles sollicitent n’ont pas forcément la vision stratégique de l’entreprise. Leurs formations sont donc biaisées, leur vision est parcellaire et orientée. À mon sens, les RH doivent avoir une vision holistique de la transformation digitale pour ne pas tomber dans les pièges des buzzwords.

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