Technologies, innovations, intelligence artificielle, algorithme, blockchain, objets connectés : notre monde et nos organisations se numérisent. Mais sortons un peu le nez de nos techno, et regardons qui est impacté. Ce sont nous, les hommes et les femmes qui au quotidien, transformons notre manière de travailler ensemble. Cette vision d’une digitalisation « human centric », nous la partageons avec Nelly Brossard, Directrice Générale Adjointe de la Mutuelle des Motards (@nelbro). On vous raconte ici notre échange.
Vous avez choisi le mot « humain » pour parler de transformation digitale. En quoi ce mot fait-il sens aujourd’hui pour vous dans votre réflexion sur la transformation ?
Nelly Brossard : J’ai choisi le mot Humain, parce que forte de mes différentes expériences, il est clair que c’est vraiment l’Humain qui permet de transformer une entreprise, et ce, à tous les niveaux. L’Humain est au centre de la transformation et non pas la technologie ou les différents outils.
Les outils, qu’ils soient digitaux ou non, ou la technologie ne sont pas une fin en soi, mais simplement un moyen permettant par exemple de mieux coopérer, partager, échanger, fluidifier et travailler ensemble…
Lire aussi : Merete Buljo : « Pour réussir sa transmutation digitale, il faut être prêt à se remettre totalement en question »
Ce mot Humain est selon moi vraiment clé, il est même au cœur de la transformation. Parce qu’il est crucial de mettre en œuvre cette transformation avec les collaborateurs.
Concrètement, cela signifie : leur donner du sens, leur faire comprendre les enjeux, les engager de manière participative, les impliquer, les accompagner à se transformer, et évidemment aussi accompagner les managers dans leurs rôles qui évoluent très fortement…
L’engagement des collaborateurs est la véritable clé de voûte d’une transformation réussie.
La priorité est d’accompagner le changement de culture des équipes. Il est important d’être à leurs côtés, d’être un facilitateur et un développeur d’intelligence collective, et cela en continu.
Concrètement, parler d’humain dans la transformation digitale, c’est parler de quoi : de collaboratif, d’intelligence collective ?
Nelly Brossard :Tout à fait, il s’agit de travailler, de fonctionner et d’échanger en mode collaboratif avec une organisation, où l’Humain prend toute sa dimension, basée sur la transversalité, la transparence des échanges, les interactions, la mise en relation. Cela permet de partager les compétences et savoir-faire, les capacités de réflexion et de résolution de problèmes et de développer l’intelligence collective. Cette intelligence collective libère les énergies, elle créée des synergies, et permet à chacun des collaborateurs de s’épanouir.
Nelly Brossard :Les outils technologiques et digitaux donnent accès à l’information, permettent de partager et de travailler autrement.
Par exemple, les réseaux sociaux ont un rôle clé et font partie intégrante du quotidien : simplicité d’accès à l’information, ouverture aux autres et au monde, partages d’informations et de points de vue, liberté de parole, liens avec les autres et fertilisation croisée.
Ils permettent à l’information de circuler, de communiquer et d’élargir les horizons et d’aller parfois plus loin dans les échanges et de se rencontrer. Selon différentes études, dont celle du « MIT Sloan Review », par exemple, les collaborateurs utilisant Twitter ont plus d’idées que ceux ne l’utilisant pas, et il existe une forte corrélation entre la diversité de Twitter et la qualité des idées, les « Twittos » sont des connecteurs d’idées. Ils ont un réseau de contacts plus diversifié que ceux qui ne l’utilisent pas.
Lire aussi : Aurélien Gohier : « Transformation numérique : arrêtons de générer de la culpabilité »
Plus globalement, les différents outils technologiques facilitent une organisation au travail, basée sur la transversalité, la transparence des échanges, la mise en relation, l’intelligence collective. Ils transforment les relations et les interactions avec les clients, avec l’écosystème et entre les collaborateurs et les équipes.
Ils permettent de mettre plus facilement en œuvre des méthodes de travail avec de l’agilité, d’avoir des cycles de lancements plus courts, d’intégrer le « test and learn » et l’amélioration continue, de raccourcir les délais de décisions et de responsabiliser les collaborateurs. La création de valeur s’effectue de manière plus souple, agile et rapide. C’est nécessaire dans un environnement incertain, qui fluctue et où il faut accélérer la mise en marché des offres et services, et agir et réagir vite.
Je suis convaincue que les outils technologiques utilisés à bon escient permettent de créer, de renforcer et faciliter le lien social.
Parler d’humain, c’est parler de l’organisation en elle-même et toutes les personnes qui la composent, et non des process. Que se passe-t-il pour ces personnes lorsqu’une entreprise fait sa mutation technologique ? À l’échelle de l’organisation ? À l’échelle individuelle ?
Nelly Brossard :Lorsqu’une entreprise se transforme et réalise sa « mutation technologique », la situation est fréquemment vécue comme « difficile » pour la plupart des collaborateurs au niveau individuel, au sein de leur équipe, et au niveau de l’organisation globale.
L’un des freins principaux dans une démarche de transformation repose aussi sur l’humain. Changer de culture pour se transformer et innover est un long chemin souvent difficile compte tenu du poids de l’existant et des habitudes… Se transformer n’est pas instantané, il faut aider à penser autrement, lever les freins les uns après les autres, car le poids des années ancre parfois profondément les pratiques et les réflexes !
Pour réussir une transformation, il est primordial de donner du sens en affirmant, en expliquant et en partageant la vision stratégique et la nécessité vitale de changer et d’évoluer. Il est vraiment crucial de répondre, au niveau de la direction, à cette demande de sens. Cela permet la clarification et l’échange transparent sur le « pourquoi » et de donner de la lisibilité à l’ensemble des collaborateurs.
Lire aussi : Arnault Chatel :« Absolument tout le monde doit être formé au digital »
Pour embarquer les équipes dans le projet, il est nécessaire que chacun ait cette vision claire et partagée de la stratégie de l’entreprise et surtout prenne conscience des enjeux et bénéfices de la transformation digitale. L’entreprise doit ensuite accompagner sa mise en œuvre. Cet accompagnement des managers et des équipes est un facteur clé de succès.
Au regard de cette mutation, il est clé de définir et de construire une démarche cohérente, structurée et coordonnée au niveau de toute l’entreprise avec les contributions et apports de chacun pour atteindre l’objectif commun.
Celle-ci doit être pleinement en phase avec les valeurs, la culture et les objectifs stratégiques. Avoir cette approche mature et structurée permet d’aligner toutes les forces de l’entreprise et de son écosystème.
Selon vous, le numérique selon permet-il d’humaniser le management ?
Nelly Brossard :La révolution digitale a pour conséquence l’horizontalisation des organisations. Elle permet un nouveau modèle avec un cadre plus ouvert, plus transverse, agile, sans silo, où l’information circule de façon instantanée. Elle implique un management très collaboratif et participatif, où chacun peut proposer, oser, agir, trouver sa place, avec une liberté donnée, la confiance, une autorisation à la prise de risque et le droit à l’erreur.
Cette pratique participative est extrêmement vertueuse, elle est très responsabilisante et installe un climat favorable à l’innovation et à la qualité du travail, pour atteindre un but commun et une humanisation des relations.
Quelles sont les soft skills requises aujourd’hui pour les collaborateurs ?
Nelly Brossard :Les soft skills, ces compétences humaines, personnelles et sociales qui relèvent directement de l’intelligence émotionnelle ou cognitive, et les hard skills,des compétences plus techniques, quantifiables, liées à une intelligence logique, sont deux types de compétences très complémentaires.
Néanmoins, il est clair, on le constate au quotidien et de nombreuses études l’affirment, qu’aujourd’hui à l’heure où la transformation digitale et l’intelligence artificielle sont en plein essor, et nécessitent de miser encore davantage sur le capital humain, les soft skills sont vraiment clés.
Selon l’étude publiée par le World Economic Forum, dix soft skills sont considérées comme indispensables : résolution de problèmes, pensée critique, créativité, gestion des équipes, coordination – coopération – capacité à travailler avec les autres, intelligence émotionnelle, jugement et prise de décision, orientation service client, négociation, souplesse et flexibilité cognitive.
À mon sens, parmi elles, les principales soft skills sont la coopération avec les autres, l’intelligence émotionnelle, la pensée critique, la capacité à résoudre des problèmes, la créativité, l’orientation client. Sans oublier la curiosité et la capacité à apprendre : à la fois d’apprendre de nouvelles choses, mais aussi d’apprendre des autres et de soi et ne pas oublier d’apprendre à apprendre.
Lire aussi : Pierre-Philippe Cormeraie : « Évangéliser, c’est faire rayonner la stratégie digitale de l’entreprise »
Ces éléments réellement sont stratégiques et indispensables.
Par ailleurs, le management a un rôle essentiel pour encourager le développement des soft skills. Et gérer une équipe, c’est savoir avant tout faire confiance, savoir déléguer, libérer les talents, faire grandir chacun, inciter les collaborateurs à faire preuve d’audace, encourager la prise de risque, savoir donner une vision de son rôle, inspirer et donner envie à son équipe.
Nelly Brossard :La transformation, c’est avant une affaire de culture et de façon de travailler. Centrée clients, elle nécessite à la fois de la vision et une capacité d’exécution…
Sans oublier une bonne dose de courage, d’exemplarité du top management et de pragmatisme…