Mise en place de stratégies, création d’équipes dédiées avec CDO à son bord, embarquement des collaborateurs, formation, choix des outils… Pour un certain nombre d’entreprises en France, la feuille de route de la transformation digitale est établie et les actions sont lancées. Mais ces mêmes entreprises savent-elles pourquoi elles se transforment, à part « parce qu’il faut le faire » ? Et avant toute chose, ne faut-il pas trouver sa raison d’être et s’engager ? C’est la réflexion que nous propose aujourd’hui Marjolaine Grondin, cofondatrice de Jam.
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Bonjour Marjolaine, vous êtes la cofondatrice de Jam. En deux mots, en quoi cela consiste ?
Marjolaine Grondin. Jam est le premier média conversationnel qui aide des centaines de milliers de jeunes à comprendre et à se positionner sur les sujets d’actualité. Nous accompagnons également les marques pour les aider à rejoindre la conversation, mieux comprendre quelles sont les attentes de jeunes aujourd’hui et ainsi mieux leur transmettre leurs valeurs.
Vous avez choisi « engagement » pour nous parler de transformation digitale. Pourquoi ce choix ?
Marjolaine Grondin. Ce mot pour moi est porteur de sens. Il pose le problème à la racine. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de transformation digitale, on entend qu’il faut s’adapter aux nouveaux usages, pour rester dans la course. Dans ce contexte, la transformation digitale devient une nécessité. Mais comprend-on vraiment pourquoi il faut se transformer ? C’est là selon moi la question essentielle qu’il faut se poser. La transformation est une opportunité, mais faire le choix d’un outil digital plutôt qu’un autre n’est pas neutre.
On parle beaucoup d’engagement sur les réseaux sociaux, un rapport avec ce terme ?
Marjolaine Grondin. Non, cela n’a rien à voir avec les reach, likes et partages. Il s’agit davantage de s’engager pour une cause, pour un sujet, auprès de sa communauté, et d’aller jusqu’au bout de cet engagement, de trouver sa raison d’être, de se positionner. C’est en cela que la transformation digitale est une opportunité. Elle permet de se poser les bonnes questions. Prenons l’exemple de la MAIF. L’assureur a décidé de transformer son call center pour l’adapter aux attentes réelles des consommateurs et mieux répondre à leurs attentes en termes de fluidité et de réactivité. Ils ont fait le choix de refondre totalement leurs pratiques, en incluant davantage d’outils, d’automatisation, mais sans déshumaniser, en gardant un contact humain. Cela a été l’occasion pour eux d’améliorer l’expérience client, mais aussi l’expérience collaborateur. Et c’est moi très représentatif de l’engagement.
Quelles sont les entreprises modèles « engagées » aujourd’hui ? N’y a-t-il pas un peu trop d’effet marketing derrière, à l’image du greenwashing ?
Marjolaine Grondin. Aujourd’hui, il est clairement devenu incontournable pour les marques de s’engager, de ne pas se contenter de vendre un produit, de proposer également une vision sociétale. Il est donc indispensable que cela transparaisse au niveau marketing.
Prenons cette fois-ci l’exemple de Patagonia. Depuis les années 70, l’entreprise s’est engagée dans la cause environnementale et elle ne le fait pas à moitié : écoconception, conditions de travail irréprochables, etc. Danone a récemment supprimé son département RSE, affirmant ainsi que les enjeux sociétaux et environnementaux sont l’affaire de tous et qu’ils doivent s’inscrire à tous les niveaux de l’entreprise, pas simplement dans un service. Carrefour vient de lancer Act for food, l’engagement du groupe est clair et chiffré, c’est du concret.
Mais bien sûr, il y en a d’autres qui surfent sur la tendance. Nous menons actuellement une étude sur les jeunes et l’engagement. Nous sommes surpris des premiers résultats : des marques comme H&M et Apple sont identifiées par les jeunes comme étant responsables, or ce n’est pas tout à fait le cas…
L’engagement est devenu central parce que les jeunes sont à la recherche de sens ?
Marjolaine Grondin. Nos clients nous disent : « nous sommes obligés de changer, les jeunes nous le demandent ! ». Donc oui, ce changement, les jeunes l’impulsent ! Mais le mouvement est global : il résulte à la fois de l’énergie de la jeunesse, mais aussi de nos attentes au travail, dans notre façon de consommer. Les valeurs très lifestyle autrefois en vogue avec le consumérisme ont laissé la place aux valeurs sociétales. Pour schématiser, avant, la tendance c’était de s’acheter le dernier sac à main, maintenant on va davantage utiliser un tote bag en coton bio pour revendiquer un message fort. Nous vivons à une époque où 22 000 étudiants signent un Manifeste pour un réveil écologique, disant qu’ils n’iront pas travailler dans des entreprises n’ayant pas des valeurs fortes, où les jeunes s’impliquent activement dans des mouvements comme Youth for Climate qui prennent chaque jour plus d’ampleur. Nous sommes tiraillés entre une urgence de changer les choses, une peur que cela ne fonctionne pas, et en même une envie et une motivation pleine d’espoir. Nous déplorons souvent le monde dans lequel nous vivons, où le plein emploi n’existe plus. Et pourtant nous avons aussi plus d’opportunités aussi en termes d’apprentissage, de mobilité, que n’en ont jamais eu nos grands-parents ou même nos parents.
Marjolaine Grondin. J’en reviens toujours à cela : toujours se poser la question du « pourquoi ». C’est essentiel pour la performance de l’entreprise, pour sa longévité, peu importe sa taille. Prenons l’exemple des messageries instantanées. Ce sont des outils géniaux qui permettent de communiquer à tout moment et que je recommande fortement d’utiliser. Mais je suis également convaincue qu’il faut encadrer leur utilisation, afin de favoriser le “deep work” et permettre de travailler sur des sujets de fonds. Soyons plus raisonnables et intentionnels dans notre utilisation des outils du digital.