À l’heure de la transformation digitale, la place du client n’a peut-être jamais été aussi forte. On explore sa data, pour mieux le connaitre et lui proposer une expérience unique et personnalisée, on entre dans la conversation également, pour une relation plus humaine et privilégiée, à l’aide des réseaux sociaux et des chatbots entre autres. Bref, le client fait l’objet de toutes les attentions. Mais n’en fait-on pas trop ? Et les collaborateurs dans tout cela, comment s’adaptent-ils à ces changements ? Nous sommes allés démystifier le sujet avec Frédéric Fougerat, directeur de la communication et du marketing du groupe Foncia.
Digitalisation, expérience, interaction avec les marques, la relation client à l’heure de la transformation a clairement évolué. En interne, en termes de métiers, comment cela se traduit-il concrètement ? Comment les métiers évoluent-ils ?
Toutes les entreprises n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes typologies de clients, les mêmes priorités. Il est donc difficile de proposer une réponse unique et globale à cette question. Mais oui, à l’ère de la connexion permanente, où nos vies sont rythmées au son des notifications des smartphones, il me semble indispensable d’être organisé pour être en capacité de répondre aux exigences de réactivité, voire d’instantanéité de service attendu par les clients. C’est par exemple le cas en matière de conversations que chacun considère désormais pouvoir engager à toute heure de la journée ou de la nuit, la semaine comme le week-end. Cela pose aussi des questions sérieuses d’organisation, de limites de ce qui est acceptable et de ce qui ne peut pas l’être. La question se pose notamment vis-à-vis des collaborateurs de l’entreprise, avant de risquer de créer une nouvelle forme d’esclavage.
Nous avons coutume de dire que le client est roi, l’est-il aujourd’hui encore plus qu’avant ? Le client a-t-il désormais les pleins pouvoirs ?
Le client, aujourd’hui comme hier, reste la condition indispensable à la raison d’être de l’entreprise. Sans client, pas de business et pas d’entreprise. Le client a toujours eu le pouvoir, même si son pouvoir n’est pas toujours vital, lorsque la demande est plus importante que l’offre. Mais aujourd’hui, le pouvoir du client ne se limite plus à l’acte d’achat. Les opportunités qui lui sont données de commenter ou noter le service ou l’entreprise lui donnent une autorité supplémentaire. Sa capacité à être prescripteur ou détracteur augmente durablement son pouvoir, bien au-delà de l’acte purement commercial.
Ce principe ne pose aucun problème nouveau aux secteurs d’activités ou aux pays qui avaient un sens du service très développé et une culture client forte. En revanche, pour ceux qui n’avaient pas cette culture, l’adaptation parait clairement plus complexe ou douloureuse. L’exemple de l’expérience cliente négative vécue par les usagers des taxis, pendant des décennies, a expliqué le succès d’Uber, parfait symbole de transformation digitale réussie, répondant à un vrai besoin, tellement marquant qu’en est née l’expression « uberisation ».
La digitalisation a fait naître l’expression « customer centric ». Qu’est-ce que cette expression signifie pour vous ? Quel changement cela implique-t-il au sein de l’entreprise ?
L’expression « Customer centric » est clef, car elle nous rappelle en permanence que tout ce que nous faisons, dans une entreprise de service peut-être encore plus qu’ailleurs, doit toujours n’être pensé que « client ». Cela commence par les heures d’ouverture et de fermeture de vos services, qui doivent répondre aux besoins ou nouveaux besoins de vos clients, et non au fonctionnement historique de votre entreprise, comme à l’accessibilité ou la compréhension de vos services, qui doivent correspondre aux usages ou à l’expérience que souhaitent vivre vos clients, et non à vos spécificités techniques ou organisations internes qui ne concernent que vos collaborateurs, et non vos clients, qui n’ont ni à les connaitre, et encore moins à devoir s’y adapter.
Quel rôle jouent aujourd’hui l’émotion et l’expérience dans la relation client ? Comment les entreprises peuvent-elles appréhender cela dans leur démarche de transformation digitale ?
L’émotion, c’est ce qui peut faire la différence. Avec l’émotion, on passe du rationnel à l’irrationnel, du factuel et mesurable à l’impalpable. Mais l’émotion peut autant être positive que négative. Donc l’expérience client doit être forte, et l’émotion doit renforcer l’impact positif sur le service et/ou sur la marque. La transformation digitale est un moyen qui met à disposition des outils dont l’objectif est d’être plus performant, facilitant, rapide, efficace. L’émotion ne sera pas nécessairement liée à la transformation digitale, mais peut-être à certains de ses effets… S’ils sont accompagnés d’une bonne communication, basée sur un bon contenu, c’est-à-dire une belle histoire à raconter, à partager, à faire vivre au client.
Avec le digital, nous sommes plus que jamais dans l’ère de la connaissance client (bigdata, IA, CRM, etc.). Cela suppose de nouveaux métiers au sein des directions marketing et communication. La connaissance client est-elle aujourd’hui pour vous indispensable ? Comment l’appréhender correctement ?
Je pense que la bonne relation client a toujours été basée sur une bonne connaissance de son client, et une bonne compréhension de ses besoins. Ce qui a changé aujourd’hui, ce sont les moyens extraordinaires qui permettent une connaissance beaucoup plus affinée des clients, plus ciblée, plus segmentée, plus pointue, qui offrent des opportunités marketing toujours plus vastes, parfois trop aux dires de certains. C’est pour cette raison que nous entrons surtout dans l’ère de la protection des données personnelles qui sont de plus en plus sujettes aux risques d’utilisations abusives, voire malveillantes. Ces données ne nous sont pas volées. C’est nous qui, innocemment ou naïvement, renseignons à longueur de temps des sites, des bases, des formulaires… avec des données de plus en plus précises et complètes qui, une fois rassemblées, recoupées, analysées, délivrent bien plus d’informations sur nous, que ce que nous pensons, et permettent une utilisation à notre insu, que nous n’avions pas imaginées ou très largement sous-estimées.
Justement, avec le RGPD qui entre bientôt en vigueur, cela ne va-t-il pas complexifier davantage le travail des entreprises en termes de connaissance client ? Quel avenir voyez-vous pour toutes ces entreprises qui ont aujourd’hui besoin de collecter des données ?
D’abord, peut-être est-ce une vue de communicant, mais je vois ce règlement européen sur la protection des données davantage comme une opportunité que comme une contrainte. À mon sens, il s’agit davantage d’une opportunité pour les entreprises, qui grâce à ces nouvelles règles, vont éviter les risques de scandales de vols ou de pertes de données à caractère personnel qui affecteraient durablement leur image et leur réputation.
Ensuite, il s’agit de disposer d’une règle du jeu commune, qui n’interdira jamais d’être plus créatif que ses concurrents, mais qui organisera la collecte de données et garantira le respect de leur usage. Il appartiendra aux plus innovants, aux plus créatifs, aux plus malins d’être plus performants dans le respect de la règlementation. Même si la France depuis 1978 était un des pays pionniers, après l’Allemagne en 1971 et la Suède en 1973, en matière d’informatique et de libertés, la règlementation n’était plus à la hauteur des nouveaux enjeux du 21e siècle, et avait besoin d’une harmonisation, sur le territoire politique le plus large possible, pour un sujet qui ne connait pas de frontières.
Si vous ne deviez en donner qu’un, quel conseil donneriez-vous à une entreprise qui cherche à mieux appréhender sa transformation digitale ?
Mon conseil serait de rappeler que la transformation digitale n’est pas un objectif, mais un moyen, qui doit servir des besoins, et non des idées, car les idées ne créent pas les besoins.
Frédéric Fougerat est directeur de la communication et du marketing du groupe Foncia.
Il est l’auteur du livre « Un manager au cœur de l’entreprise » aux éditions Studyrama.
Retrouvez Frédéric Fougerat également sur Twitter à @fredfougerat.