L’intrapreneuriat se développe dans de nombreux grands groupes, comme chez BNP Paribas. Ce type de dispositifs qui permet aux collaborateurs de devenir entrepreneurs internes, tout en bénéficiant du soutien de l’entreprise, est bénéfique pour tout le monde. C’est même un excellent levier de transformation de l’entreprise, nous expliquait récemment Sandrine Delage, intrapreneure chez BNP Paribas. Entretien.
Bonjour Sandrine, vous êtes intrapreneure chez BNP Paribas. Racontez-nous, ça consiste en quoi ?
Je suis responsable d’un laboratoire d’apprentissages chez BNP Paribas qui s’appelle Change Makers & Prospective. Nous y développons notamment l’acculturation digitale avec le dispositif EnjoyDigitAll. Celui-ci consiste en un volet externe, avec un compte Twitter sur lequel nous partageons des bonnes pratiques, et un volet interne, avec l’organisation d’ateliers réalisés par des collaborateurs eux-mêmes sur des thématiques comme l’intelligence artificielle, les chatbots… Il s’agit de démystifier et rendre accessible le digital avec les collaborateurs.
C’est ce projet que j’ai développé il y a 4 ans en tant qu’intrapreneure. Mon but était de lutter contre la fracture numérique, qui concerne également les salariés des grands groupes. J’étais très sensible à la fois à la puissance du digital et à ce que cela représente de se sentir exclu.
Le digital peut être très accessible, à condition d’être accompagné en « mode tribu ». C’est ce qui m’a aussi poussé à écrire sur le sujet : j’ai créé un blog avec ma fille, afin d’apporter un regard croisé et intergénérationnel sur le sujet.
Depuis en parallèle, j’ai pris la responsabilité du People’sLab4Good, le programme d’intrapreneuriat du Groupe, qui accueille des collaborateurs porteurs de projets à impact positif ; l’un des enjeux est d’explorer de nouveaux modèles économiques qui répondent aux attentes sociétales d’une part et environnementales d’autre part. Cette recherche de nouveaux modèles économiques me rappelle les débuts de la révolution digitale avec le questionnement de la rentabilité au moment de l’arrivée d’Internet.
Intrapreneuriat, quel rapport avec la transformation digitale ?
Sandrine Delage. L’intrapreneur est au cœur de la transformation et de l’innovation. Ici, le changement vient d’un collaborateur qui va combiner convictions personnelles et professionnelles pour proposer un produit innovant. C’est en cela que la transformation est portée par les collaborateurs eux-mêmes et c’est ce qui fait toute la différence !
Pensez-vous que les entreprises qui valorisent l’intrapreneuriat accélèrent leur transformation digitale ?
Sandrine Delage. Oui forcément. Elles accélèrent leur transformation tout court !
Et à 3 niveaux :
- d’un point de vue business : l’intrapreneuriat explore de nouveaux modèles économiques, par exemple autour de l’usage et de l’abonnement plutôt que l’achat/vente traditionnel …
- d’un point de vue engagement : un intrapreneur est en connexion avec une centaine de personnes dans l’entreprise : collègues, managers, membres du comex, etc. Il fait ainsi rayonner son projet sur tous les services et devient un agent du changement
- d’un point de vue méthodologie startup : un intrapreneur comme un entrepreneur utilise des méthodologies de type startup permettant de donner une nouvelle compréhension des besoins et de son environnement. Il insuffle donc une nouvelle culture et de nouvelles pratiques dans la manière dont sont conduits les projets.
Tout cela facilite la transformation. l’intrapreneuriat permet de devenir acteur d’une transformation à la fois individuelle et collective.
Mais concrètement, cela change quoi pour ces entreprises au quotidien ?
Sandrine Delage. Beaucoup de choses ! Je crois tout d’abord que la transformation au cœur de l’opérationnel par la solution innovante portée par l’intrapreneur.
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En interne chez BNP Paribas, nous avons ce que nous appelons des « sponsors », des managers décisionnaires qui achètent les projets, sur le même principe qu’une levée de fonds, sauf que c’est en interne. Les intrapreneurs doivent aller, en interne, à la rencontre de ces managers et promouvoir auprès d’eux la solution qu’ils souhaitent lancer pour qu’à terme ces derniers financent leur projet. En acceptant de soutenir des projets différents et innovants, les managers deviennent ambassadeurs du projet. Une chaine de Change Makers se crée à tous les niveaux .
Il me semble aussi que le développement de structures d’intrapreneuriat concrétise la conviction de l’entreprise que les collaborateurs peuvent être des acteurs de la transformation. Chez BNP Paribas, il y a plusieurs structures d’intrapreneuriat dans les métiers ainsi que le programme transverse groupe, le People’sLab4Good, qui permet aux porteurs de projets de prototyper leur idée à impact positif et de créer un écosystème interne qui leur permettra de le déployer. Nous proposons un vrai temps de formation, avec des structures d’accompagnement variées. Parce qu’il est difficile pour un intrapreneur d’être seul à ses débuts.
Est-ce difficile d’être intrapreneur ?
Difficile, ce n’est pas le terme que j’utiliserais. L’intrapreneur doit être engagé. Il donne du sens à son travail, il prouve qu’il est utile et aligné. Et grâce à cette force, cette puissance, il arrive à convaincre les autres. Mais bien sûr, cela nécessite un gros investissement.
Intrapreneur, entrepreneur, quelles différences ?
Sandrine Delage. Je dirais que c’est très semblable à un entrepreneur. Entre les deux termes, il n’y a qu’une seule lettre qui change ! ll y a quand même des différences. Pour les intrapreneurs, ce qui peut être difficile, c’est de ne pas être à 100 % sur le projet à ses débuts. Il prend les rênes de l’intrapreneuriat par palier. Les intrapreneurs ont aussi le support financier de l’entreprise et conservent la sécurité de l’emploi, ce qui constitue une différence fondamentale. Mais cela mis à part : c’est très proche. Nous avons les mêmes méthodologies de travail, les mêmes étapes et les mêmes moments de doutes aussi !
Sandrine Delage. Oui pourquoi pas ! Car chacun est en mesure d’être acteur en proposant des idées et des solutions concrètes. Mais mon conseil, c’est surtout de réfléchir au sens. Si une entreprise n’est pas engagée sur le sens de sa transformation, il sera difficile d’engager les collaborateurs. Le sens, c’est le préalable indispensable à toute transformation. Et il est enthousiasmant d’observer que la transformation digitale n’est qu’une étape et que nous sommes déjà dans la révolution suivante, celle de l’impact positif. Ces deux révolutions sont liées. Le digital nous permet de créer du lien avec la capacité d’accélérer les interactions. Et l’impact positif, c’est la capacité à prendre en compte l’ensemble des parties prenantes dont la société et la planète. Tout s’aligne. Du digital à l’impact positif, il n’y a qu’un pas.