La transformation digitale fait foisonner le lexique et les expressions arrivent par cortège. On parle de disruption, de collaboration, de transformation interne ou encore d’innovation. Mais n’oublions pas les deux petites lettres qui arrivent à la fin du dictionnaire : l’UX. Et si l’expérience utilisateur, c’était finalement le mode de pensée de la transformation digitale, propose Jérôme Wallut, l’auteur de Patron, n’ayez pas peur ! Retour sur un échange passionnant avec celui qui a cofondé Connectworld en 1997, l’agence de veille d’opinion Human to Human, transformé Wcie du groupe Havas pendant 7 ans, puis rejoint ICP Consulting pour réconcilier les entreprises avec les nouveaux usages de leurs clients.
On connaît l’UX comme design de site web. Mais pour vous, c’est plus que cela ?
Jérôme Wallut : L’expérience utilisateur, c’est ce qu’il y a en plus de l’usage, c’est la manière de vivre l’usage. C’est bien plus large que l’expérience d’un site web ! Aujourd’hui, le constat, c’est que les publics ont pris le pouvoir par leur conversation d’abord, puis par la mobilité et les applications, bref par leurs usages.
La question est : pourquoi certains usages fonctionnent et d’autres non ? Par la qualité de l’expérience utilisateur, autrement dit cette fluidité et ce confort qui rendent l’expérience agréable, simple, intuitive. Rien de plus insupportable aujourd’hui qu’une application qui ne fonctionne pas, ou qui est difficile à comprendre. L’innovation et la créativité se situent donc davantage dans la qualité de l’usage que dans l’usage lui-même. Prenons l’exemple de Voyage SNCF. La force de sa plateforme, c’est d’avoir su s’inspirer des usages en proposant une interface sur le modèle d’Airbnb. L’entreprise n’a pas inventé un usage, elle a inventé une expérience utilisateur de la réservation de voyages.
De quelle manière l’expérience des usages impactent les entreprises ?
J.W. : Il me semble essentiel que les entreprises comprennent que ce sont les usages qui guident le business. Il ne s’agit plus pour elles de trouver des clients pour des produits qu’elles savent fabriquer. Cela, elles savent déjà le faire. Il leur faut proposer une expérience des usages absolument magique.
Aujourd’hui, la SNCF n’est plus un opérateur de gare à gare, mais de porte-à-porte. L’entreprise a réussi à se positionner comme un expert de l’hyper mobilité. Elle a su réagir à la transformation digitale et elle a ainsi élargi son périmètre, en comprenant que ses compétences sont beaucoup plus larges que de faire rouler des trains sur des rails. En fait, l’UX est un mode de pensée, c’est le mode de pensée de la transformation digitale. C’est cela qui permet à une entreprise d’être en cohérence avec les besoins, les envies, les exigences de ses publics.
Concrètement, comment fait-on pour mettre de l’UX dans son business ?
J.W. : C’est une question de méthodologie. S’il y a bien une chose que les startups ont comprise, c’est qu’il faut travailler autrement. Une entreprise qui se transforme, c’est une entreprise qui resynchronise tous ces processus métiers, au regard des usages de ses publics. Ainsi, avec l’UX, on cadre, on prototype, on teste.
Et surtout, lorsque l’expérience utilisateur est au centre de la stratégie de l’entreprise, on ne mise plus sur les produits, mais sur les experts, à savoir les compétences. Fini le management par fiches métiers. L’idée, c’est bien de réunir en mode agile des compétences qui vont travailler sur une expérience utilisateur. Dans ce contexte, de nouveaux métiers voient le jour comme UX manager, UX designer, Voice Member Coordinator, ou encore Community Manager. Ce sont des personnes dont le métier est de comprendre, d’entendre et d’animer une expérience utilisateur.
Agilité, design thinking, UX… est-ce que tout cela, ce n’est pas un peu la même chose ?
J.W. : Ce qui me gêne dans « design thinking », c’est qu’il y a le mot « design », qui signifie faire, fabriquer. Avec l’UX, on va plus loin que le prototypage. Chez ICP Consulting par exemple, une majorité de nos collaborateurs sont des UX managers. Ce sont les garants de la qualité de l’expérience utilisateur. Ce sont eux qui connaissent les personas, les parcours, les points de douleurs et les points de fuite qui font qu’un utilisateur sort du parcours. Nous avons également des UX designers : leur rôle est très précis, ce sont eux qui proposent les solutions en atelier de prototypage permettant de résoudre ces points de douleur.
Dans une méthodologie UX, il y a aussi bien sûr de l’agilité, mais surtout de la vitesse d’exécution. Le principe, c’est de prototyper et de tester. En quelques jours, nous sommes capables de sortir un prototype, de voir s’il marche, s’il ne marche pas, et on itère, et on avance. Nous sommes dans une logique d’amélioration permanente. Ici, c’est le lean, le maître mot. En fait, l’UX englobe agilité, lean, design thinking. C’est un peu le juge de paix.
Quel conseil donneriez-vous à une entreprise qui se transforme ?
J.W. : Tout d’abord, les entreprises ne viennent pas à nous parce qu’elles veulent se transformer. Elles viennent parce qu’elles ont un point de douleur. Ce que j’aime alors leur dire, c’est : « il faut essayer, il faut se tromper, il faut se tromper vite, il faut se tromper de mieux en mieux. » On ne peut pas continuer à être dans la même logique de travail. Il faut engager le sujet et se faire accompagner par des personnes rompues à ces méthodologies UX. Parce que le drame dans tout cela, c’est que pendant les travaux, la vente continue. Il faut donc se transformer tout en continuant à faire le travail qu’on a l’habitude de faire et qui d’ailleurs continue encore de fonctionner, pour le moment. Les entreprises ont pendant longtemps vu le digital comme de la com, comme un canal de plus, un beau site internet et puis voilà. Elles n’ont pas compris tout de suite l’enjeu business. C’est pour cela qu’elles sont en retard.
Les dirigeants n’ont-ils pas peur du terme UX ?
J.W. : L’UX est un mot qui n’est pas toujours bien compris. On a tendance à le confondre avec « centré client », en se disant que, oui le travail est fait, que les marketeurs font leur job. Oui, mais non. Parce que le marketing a pour objectif de vendre des produits que vous avez créés, alors que le sujet n’est pas de vendre des produits, mais de se poser la question des expériences qu’on est légitimes de proposer. Quand Darty invente le bouton Darty par exemple, la marque ne vend pas un produit, elle est en train d’enchanter une expérience utilisateur, de garantir la qualité de l’expérience. L’UX est ainsi plus qu’une méthodologie, c’est le centre de gravité de l’entreprise.
Quand vous parlez d’expérience utilisateur, est-ce que vous parlez aussi d’expérience collaborateur ?
J.W. : Les publics, ce sont les 4 C : le citoyen, le client, le consommateur, le collaborateur. La puissance de la révolution digitale et de tous ses outils, c’est d’avoir décloisonné ces publics. On ne s’adresse plus à un citoyen d’un côté et à un collaborateur de l’autre. On parle à tout le monde en même temps, en fonction des centres d’intérêt. Il est nécessaire de considérer que les 4 C ont une maturité incroyable sur la transformation digitale. Ils se sont emparés du sujet. Ils ont découvert qu’ils pouvaient se passer de publicités, qu’ils avaient le pouvoir de leurs usages, de passer à un autre si cela ne marche pas. La transformation digitale, c’est donc aussi la transformation interne de l’entreprise et l’expérience des usages qu’elle propose à ses collaborateurs.
Qui est Jérôme Wallut ?
Après avoir créé connectworld puis l’agence Human to Human, aujourd’hui intégrée au Public System, puis dirigé l’agence Wcie du groupe Havas, Jérôme Wallut rejoint ICP Consulting, une agence conseil qui se propose de réconcilier les entreprises historiques avec les nouveaux usages de leurs publics. Il vient d’écrire Patron, n’ayez pas peur !, un ouvrage à destination des entreprises leur proposant de prendre à bras le corps la transformation. Il enseigne à Sciences Po ces nouveaux langages dans le cadre de l’école du management et de l’innovation (ex « Ecole de la com »).